samedi 4 août 2018

Trois




Ils étaient trois petits chats ce matin.

Ils avaient froid, ils avaient faim.

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Ils ne pesaient rien au creux de ma paume lorsque j'ai vérifié qu'ils ne battaient plus. Je vérifie toujours mais ça ne sert à rien. Déchets médicaux. Ca ne bouge jamais, les déchets médicaux. Ce sont mes mains qui tremblent, c'est tout.

J'effleure du pouce les fentes des yeux, les oreilles coquillages, qui ne s'ouvriront jamais, avant de refermer le sac bleu pétrole. Déchets.






Ce soir nous étions trois presque-soeurs, trois jeunes coeurs en quête de fraîcheur.

Nous avons suivi la sente à l'unisson, et nos yeux se trouvaient sans se chercher dans les trouées frémissantes sous bois. Nous avons senti le souffle du vent et humé les chemins dessinés dans le ciel par les arbres.

Nous avons plongé et nagé, aussi fortes que joyeuses. Fuselées, muscles bandés. En silence nous nous sommes souri et juré fidélité.





Telle est ma vie.

Les coquillages brisés avant leur éclosion, et l'envol des louves sur un lac alangui.

Les chocs électriques et la musique du vent dans les feuilles.

Les cages et l'espace infini.

L'horreur et la féerie.

Déchets médicaux. Lumineux crépuscules.



mercredi 1 août 2018

Avoir de la chance



J'ai de la chance, parce que.

J'ai un corps qui fonctionne super bien, un parfait moyen de transport dans ce monde. Depuis lundi, je me suis mise au défi de faire une séance de sport chaque jour, pour compenser l'arrêt de la course à pied. Et je suis forte, musclée et heureuse de l'être. Je peux voir, entendre, sentir, marcher, manger.

Je vis avec un être humain génial qui me permet d'être qui je suis. Il fait toujours les blagues les plus inattendues et il sait imiter à peu près tout le monde, j'ai de fous rires tous les jours avec lui. Et en plus, c'est un sage. Il sait toujours comment penser et comment faire pour se sentir mieux.

Je connais d'autres êtres humains qui m'aiment. Il y en a au moins trois, peut-être même plus, si ça se trouve. Grâce à eux, je me dis souvent que j'améliore le monde au lieu de le détériorer. C'est déjà un début d'explication à ma présence ici.

J'aime bien mon travail. J'aime bien les personnes que je vois au travail. Elles sont toujours de mon côté. Elles me rendent de grands services. Elles ont décidé que j'avais plus de qualités que de défauts.

Ma maison est pleine de vieux animaux, mais on ne dirait pas. Ils sont tous heureux. Ils me le disent tous les jours. Pour le moment, je peux encore prendre la patte de Fast et la poser sur mon genou. Je peux toucher les coussinets tout calleux, et enfoncer mes mains si profonds dans son pelage qu'on ne les voit plus.

Mes chats sont si gentils qu'ils acceptent tout de nous, les pires affronts, et qu'ils sont sympas et câlins même chez le vétérinaire. En ce moment, je les emmène vacciner un par un. J'ai un chat de moi, avec moi, à mon travail, chaque jour de la semaine.

Nawak n'est pas morte en juin. Elle est active, éveillée et intrépide, elle veut tout apprendre et tout comprendre. Moi, j'essaie de l'apprendre et de la comprendre. Je veux connaître la suite. Je veux voir ce qu'elle parviendra à faire de moi, si je suis à la hauteur de cette meilleure version de moi-même qu'elle mérite.

Voilà pourquoi j'ai de la chance en ce moment. Evidemment, j'ai de la chance tout le temps. Mais les raisons varient.

"C'est une incroyable chance d'avoir quelquefois le temps de vivre, le temps de la conscience, de pouvoir s'arrêter quelquefois, reprendre souffle et lever la tête pour contempler l'étonnant paysage autour de soi, y reconnaître sa place et se perdre en lui". (Jean Guéhenno)