mercredi 30 août 2017
Moins qu'humaine
Je sais mieux que personne à quel point je suis fragile : une petite outre de sang et de viscères mollement écoeurante, à l'enveloppe de peau si fine qu'un rien la déchire, la transperce, en répand le contenu. La nuit, quand mes yeux deviennent noir et blanc, j'entends le ver qui se tord de douleur dans mon coeur. Mes veines me guident de l'autre côté du cauchemar mauve. Là, je défie le monstre aux cent yeux, aux cent bouches de sécateur.
Au matin je fuis funambule tailladée, vaguement ahurie d'en réchapper. C'est pourquoi je sais, je sais combien je suis difficile à tuer. D'une telle connaissance on ne sort pas indemne : aux rescapés il n'est rien pardonné. Alors, aussi laide que timide, je mendie maladroitement un peu de clémence. J'essaie de susciter davantage de pitié que de dégoût. De loin je vous observe et m'applique à vous imiter. C'est sans espoir. Chaque coup, chaque éraflure donne raison à mes bourreaux : je ne pourrais jamais vous ressembler, je suis bien trop mutilée. Moins qu'humaine.
A l'intérieur et sous ma peau je suis seule enfin.
Tréfonds et confins, lisières et frontières, je retrouve ma terre. Là il y a mon souffle et le vent, mes pas et la mousse, ma peau et le soleil partout absent dans le ciel haut lointain. Là il y a le silence et la force, et le calme et la joie. Je pourrais vous raconter comment vous y rendre, mais à quoi bon ? Vous ne trouverez jamais le chemin, le chemin vers le monde intérieur des moins qu'humains.
Un jour, je déciderai de rester. Je brûlerai les ponts, je déchirerai les cartes, j'enterrerai les tapis volants. Je guérirai le monstre sécateur. Je vous oublierai. Je marcherai avec les loups, je chanterai avec les baleines, je plongerai avec les cormorans. Reine et souveraine en mon château. Libre. Moins qu'humaine.
Inscription à :
Articles (Atom)